LE PLUS. C'est le coup de cœur de la semaine. Au milieu des ténors du dessin animé contemporain, "Les Pirates ! Bons à rien, mauvais en tout" débarque avec sa vieille technique d'animation image par image. Le résultat est d'une beauté foudroyante, selon notre chroniqueur Vincent Malausa, critique aux "Cahiers du cinéma".
Cela fait un bien fou : débarqué sans faire beaucoup de bruit dans nos salles ce mercredi (et affublé d'un titre français visiblement généré par le brainstorming intensif d'un poulpe et d'un mérou sous anxiolytiques), "Les Pirates ! Bons à rien, mauvais en tout" signe le grand retour des studios britanniques Aardman au sommet de l'animation mondiale.
Ce nom vous dit quelque chose ? Souvenez-vous, ce sont les studios Aardman qui ont créé, à la fin des années 80, l'inoubliable duo "Wallace et Gromit", cet inventeur au sourire crispé et son chien fidèle lancés dans des aventures hilarantes et bourrées d'action.
En apparence, "Les Pirates !" n'a pas grand chose à voir avec "Wallace et Gromit", mais il renoue pourtant avec "l'esprit Aardman" à l'heure où d'autres ténors du dessin animé (Pixar, DreamWorks...) semblaient régner sans partage sur le divertissement pour enfants.
Poésie des matières
Comment expliquer un tel retour au sommet ? D'abord par le fait que "Les Pirates !", qui a été réalisé par Peter Lord, le fondateur d'Aardman, revient à la technique qui a fait la gloire des studios: l'animation image par image (appelée "stop motion") de créatures sculptées en pâte à modeler.
Depuis l'excellent "Chicken Run" (2000), les studios Aardman avaient tenté de prendre en marche le train de l'animation numérique en laissant de côté la pâte à modeler au profit des images de synthèse. Résultat : "Souris City" et "Mission : Noël" ne ressemblaient pas à grand chose en comparaison des chefs-d’œuvre signés par les studios Pixar ("Le Monde de Nemo", "Wall-E", "Ratatouille"...).
La leçon a été retenue et ce retour à l'animation image par image donne à ces "Pirates" une allure extraordinaire : on y sent à chaque plan l'odeur des boiseries et de l'or, la lumière du ciel ou le souffle iodé de l'air marin, tant l'alchimie des matières et des textures que permet la "stop motion" se marie à la poésie luxuriante et ouverte aux quatre vents des films de corsaires.
Un émerveillement de tous les instants
Le film nous conte les aventures d'un capitaine pirate et de son équipage (une poignée de zigotos et de bras cassés très attachants) que personne ne prend au sérieux. Pour obtenir le titre de "pirate de l'année" face aux pires fripouilles et terreurs de la flibusterie internationale, la capitaine et ses pieds nickelés vont s'en prendre à la pire ennemie des corsaires qui peuplent les sept mers : la diabolique reine Victoria en personne.
Sur le plan de l'écriture, le film atteint des sommets d'intensité et de légèreté, enchaînant les rebondissements avec une fluidité merveilleuse. Créatures inouïes surgies des profondeurs, mers d'émeraude, îles perdues, galions débordants de trésors et ciels étoilés scintillent dans les pas de notre équipée de sous-doués en une sorte d'hallucination continuelle.
C'est un véritable délice pour nos yeux d'enfant, et ce du début à la fin d'un film sans temps mort, qui évoque aussi bien l'esprit acidulé de "Pirates des Caraïbes" que les visions magiques et surannées du "Septième voyage de Sinbad".
Mais "Les Pirates !" est surtout un film de "personnages", loin de se résumer à une démonstration technique un peu vaine. Outre le capitaine, vieux bougre dissimulant des trésors de bonté dans sa barbe pleine d'embruns, toute une foule de figures génialement décalées (un dodo de compagnie à croquer, un hilarant Charles Darwin ramassé en route par les pirates, un chimpanzé savant qui s'exprime avec des pancartes...) prennent le temps d'exister comme de véritables personnages.
Un film pop et virevoltant
Dans le monde de l'animation, les années 2000 auront vu, pour résumer rapidement, une véritable lutte entre deux écoles : les films des studios Pixar, œuvres vertigineuses et souvent extrêmement émouvantes (qui a pu oublier le finale déchirant de "Toy Story 3" ?) ou ceux de son concurrent Dreamworks animation, plus frénétiques et généralement plus bâclés (à l'image des franchises "Shrek" ou "Madagascar"...).
"Les Pirates !" a le mérite de s'inscrire entre l'émotion des films Pixar et la tendance plus cartoonesque des films DreamWorks ou de certains autres triomphes comme "L’Âge de glace". Les gags font mouche et les répliques sont acérées, mais le film dans son ensemble est avant tout une aventure pleine de nuances et d'une belle complexité humaine. Il n'est surtout jamais manichéen, à l'image du personnage de petit frustré de Darwin qui se révèle finalement assez bouleversant.
Avec ses morceaux rock et son énergie pop, "Les Pirates !" ouvre une alternative bien à lui dans le cinéma d'animation contemporain. Il ne s'agit pas de paraître réac (le film allie d'ailleurs à sa vieille technique image par image des effets numériques dernier cri) mais de rendre compte avec bonheur de cette réussite que l'on n'attendait plus.
Ajoutons pour terminer que ces "Pirates" ont coûté 60 millions de dollars alors que le moindre dessin animé en images de synthèse dépasse aujourd'hui systématiquement les 100 millions de dollars : en ces temps de crise où l'on ne fait pas de petites économies, souhaitons qu'Aardman et Peter Lord remettent le couvert au plus vite.
Source:nouvelobs.com