CINÉMA. "Nouveau départ" avec Scarlett Johansson : un film loin d'être sirupeux

LE PLUS. Pour beaucoup de critiques, le retour au cinéma du réalisateur Cameron Crowe est une déception. "Sentimentaliste", "candide", "sirupeux", "fade" sont les adjectifs qui reviennent pour qualifier "Nouveau départ", avec à l'affiche deux poids lourds hollywoodiens, Scarlett Johansson et Matt Damon. Cyrille Falisse, rédacteur en chef du Passeur Critique, a lui été conquis.

Cameron Crowe, réalisateur surtout connu pour sa culture musicale, avait marqué les années 90 et 2000 de quelques petites perles romantiques comme "Presque Célèbre", "Singles" et "Rencontre à Elizabethtown". Il avait connu le succès avec "Jerry Maguire" et son remake d'"Abre Los Ojos", "Vanilla Sky". Se consacrant à son projet de documentaire sur le groupe Pearl Jam ("Pearl Jam Twenty"), sorti dans l'anonymat le plus complet en 2011 (une date unique et mondiale), il n'avait plus réalisé de long métrage depuis 2005 ("Elizabethtown").

Il nous revient avec "Nouveau Départ" (titre français peu inspiré du "We Bought a Zoo" d'origine) où Matt Damon, qui en 2011 aura été sénateur dans "L'Agence", immunisé contre une épidémie dans "Contagion", professeur dans "Margaret" (sortie en août en France), est cette fois-ci un journaliste veuf qui décide de recommencer sa vie avec ses deux enfants et pour ce faire achète un zoo en ruine qu'il retape avant de trouver dans cette activité chronophage l'occasion de faire son deuil.

Nouveau Départ - Bande Annonce 

J'ai pleuré à chaudes larmes

Par bien des aspects, "Nouveau Départ" est le clone de "The Descendants". Comme dans le film d'Alexander Payne, il raconte l'histoire d'un homme qui perd sa femme et se retrouve un peu perdu avec ses deux enfants sur les bras. Là aussi, il y a chez les enfants un aîné qui souffre et un plus jeune que l'on cherche à épargner. Tout le défi du père est d'accompagner l'aîné vers une acceptation de la perte maternelle.

"The Descendants" parvenait à poser un regard d'une délicatesse infinie sur cette cellule familiale amputée, sans complaisance, avec une justesse de ton folle et surtout en évitant de sombrer dans le pathos. C'est ici la plus grande différence entre les deux films et qui m'amène à m'interroger sur la nature même de l'émotion au cinéma et du rapport de la critique avec cette dernière. Cameron Crowe ne s'en est jamais caché, il fait un cinéma sensible, émouvant, romantique à l'excès, joyeux, bon enfant. Souvent pour qualifier une œuvre de ce type, la critique dit que le film regorge de sensiblerie, qu'il est guimauve ou qu'il dégouline de bons sentiments, de pathos.

 Je vous mentirai si je ne vous avouais pas que j'ai pleuré avec abondance devant ce film. La dernière fois que je m'étais autant abandonné, c'était en 2007 devant le film de Sean Penn, "Into The Wild". Avant cela, il devait y avoir "Bambi", "Love Story" et plus récemment "Big Fish", "Les Invasions Barbares", "Bright Star" ou encore "The Descendants".

 Le deuil bien traduit

C'est à chaque fois la même recette, je pleure quand quelqu'un meurt à l'écran et le surtout quand on nous y prépare dès le début du film. C'est la connaissance a posteriori de la finitude du personnage qui me touche. Si j'étais objectif, je devrais sans doute me méfier de cette tendance critique qui me semble trop prévisible. Si ça me touche autant c'est parce que j'ai moi-même investi un affect et un souvenir dans chacun de ces films. Je devrais dès lors prendre plus de recul face à l'émotion provoquée et en dénouer les intentions démagogiques. Pourtant cela ne tient pas si l'intention du réalisateur est sincère.

Je m'en explique : si Cameron Crowe avait traité le deuil dans l'intention d'émouvoir et que je l'avais ressenti tel quel, j'aurais dû adopter une prise de distance par rapport au jugement du film, hors ici j'ai été complètement submergé par la tristesse parce que comme pour les autres films précédemment cités, c'est ce que le film m'évoquait qui m'a bouleversé, c'est son pouvoir d'évocation.

Je ne pense pas que Cameron Crowe soit un manipulateur. Le scénario de "Nouveau Départ" tire certes les ficelles du drame et les exploite mais sans intention trop appuyée. Quand il illustre le travail de deuil de Damon par la métaphore de l'euthanasie du tigre c'est certes plus pataud que dans "The Descendants" mais c'est d'une sincérité absolue. Après la perte d'un être chéri et aimé, on transpose sa douleur sur tout être vivant, fusse-t-il un vieux tigre fatigué de vivre.


L'honnêteté critique serait peut-être de reconnaître qu'on a été touché, ému. Quand j'entendais mes confrères critiques dirent qu'ils avaient pleuré devant "Cheval de Guerre" de Spielberg, je m'offusquais, parce que tout selon moi était fait dans l'intention de provoquer cela.

J'étais de mauvaise foi sans doute parce que je ne les autorisais pas à être émus par la destinée d'un cheval emporté dans la guerre par un torrent de violons complaisants. Il en sera de même des avis sur "Nouveau Départ", tout le monde criera au pathos, accusant Crowe de manipulation. Sincèrement je ne l'en crois pas capable. Il a moins de distance que Payne dans le traitement de son sujet mais il est fidèle à ce qu'il est, un réalisateur du sentiment, un humaniste des émotions.

Une image qu'on aimerait reconstruire à l'infini

La scène finale peut apparaître grossière à qui n'a pas vécu un deuil familial, Matt Damon feuillette un album photo de son épouse disparue, les photos s'animent, les flash backs perlent à l'écran comme autant de souvenirs vivaces. Puis il raconte à ses enfants la première rencontre avec leur mère et à la table d'un café elle apparaît, souriante, jeune, merveilleuse image qu'on voudrait pouvoir reconstruire à l'infini alors que c'est celle de la mort, de la maladie, du départ qu'on garde souvent en mémoire. Les enfants saluent leur maman, c'est magnifique ! Beaucoup trouveront cela cul-cul, c'est pourtant la transposition fidèle de ce que tous les endeuillés aimeraient vivre, aussi simple que cela puisse paraître.

Tout ce qui tourne autour de la restauration du zoo, de l'amourette avec Scarlett Johansson ou de celle du fils de Damon avec le personnage interprété par Elle Fanning peut apparaître bien plus secondaire pourtant une fois encore ça se justifie, c'est l'amour, le désir qui fait oublier la mort, la frénésie de vie illustrée par la pulsion amoureuse.

"Nouveau Départ" a cette qualité folle de parler de tout avec enthousiasme, cherchant l'éclaircie sous le ciel sombre, avec ce qu'il faut d'innocence aussi pour emporter l'adhésion. A noter que la bande-son qui comporte une chanson de Temple of The Dog, Hunger Strike, est comme à l'accoutumée, délicieuse !

Cyrille Falisse/nouvelobs