Italian director and president of the Jury Nanni Moretti arrives on stage during the closing ceremony of the 65th Cannes film festival on May 27
Eric Libiot, chef de la rubrique Culture de L'Express, analyse le palmarès du Festival de Cannes 2012, rendu par le jury du président Nanni Moretti, auquel il n'adhère visiblement pas.
La bulle cannoise. Sans doute l'expression la plus utilisée pour décrire ce lieu coupé de tout, qui brasse des films et de l'argent, de l'art et de l'industrie. Mais si on veut bien en examiner toutes les coutures, cette bulle dessine également l'état du cinéma international et, partant, fait entendre la voix des cinéastes, comme un écho au monde à venir. Les -bons- artistes ont cette faculté de saisir les mouvements disparates d'une époque, convoquant l'imaginaire et la fiction pour mieux dramatiser les espoirs, les angoisses ou les illusions de chacun.
Il est, du coup, remarquable de noter le nombre élevé de films qui se sont déroulés dans un lieu coupé de tout -une bulle?-, mettant en scène un élément extérieur venu secouer et perturber ce calme trop apparent. Reality, de Matteo Garrone, Paradise : Amour, d'Ulrich Seidl, Au-delà des collines, de Cristian Mungiu, Paperboy de Lee Daniels, L'ivresse de l'argent, de Im Sang-soo... Quasiment tous, en fait. Jusqu'à De rouille et d'os, de Jacques Audiard, dans lequel son personnage féminin, joué par Marion Cotillard, tente de sortir de sa bulle post-traumatique pour réapprendre à vivre avec les autres. Je pousse le bouchon de champagne un peu loin? Peut-être. Mais pas si sûr. La récurrence est bien là, à des degrés divers. L'un des films symbolise exactement cette humeur: Cosmopolis, de David Cronenberg, qui convoque la crise du capitalisme à l'intérieur d'une Limousine. Le truc est raté, ennuyeux et abscons mais le principe et les intentions sont là.
Des histoires du coin de la rue
Et alors, me direz-vous? Alors, cette tendance me semble prolonger celle de l'année dernière qui voyait les films s'échapper de l'universalité pour raconter des histoires du coin de la rue, comme si les dérives de la mondialisation incitaient, voire obligeaient, à se retrouver entre soi pour survivre. Point trop n'en faut. L'autarcie ne procure rien de bon. Et surtout pas un avenir meilleur. Il faut absolument, disent les cinéastes d'aujourd'hui, agiter le cocotier. S'ouvrir aux autres pour reconstruire ce que la crise a brisé. "Le cinéma nous montre qui nous sommes et comment nous vivons ensembles", a lancé Ken Loach en recevant son Prix du jury. On ne saurait mieux dire. Merci, Ken.
Le palmarès. Il va falloir que je refasse mes fiches. Or donc, le jury présidé par Nanni Moretti considère, entre autres, que Carlos Reygadas est meilleur metteur en scène que Jacques Audiard. On est au-delà du n'importe quoi. C'est même un scoop. Non seulement Post Tenebras Lux est nul mais il est réalisé avec un gant de toilette. Bref. L'histoire jugera. Et bien, j'espère. Sinon, je suis triste pour les français, Resnais, Audiard et Carax, et surpris qu'ils soient absents du palmarès -je ne serai pas le seul. Content pour Loach -Prix du jury- et l'immense Mads Mikkelsen -interprétation masculine pour le pas très bon La Chasse- et Christian Mungiu et ses comédiennes méritent leur prix pour Au-delà des collines. Quant à Amour, de Michael Haneke, respect. Et Moretti a eu raison d'inclure dans cette Palme d'Or les deux interprètes, Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant.
C'est en fait un palmarès hétéroclite, pas très lisible, éparpillé, qui dit, à mon avis, davantage la subjectivité des jurés et leurs discussions en forme de compromissions qu'une réelle ligne artistique. Je peux me tromper, bien sûr, mais voter Reygadas contre Resnais, délaisser les Américains, Mud de Jeff Nichols notamment, et donner deux prix à Au-delà des collines, semblent dire le drôle de mal de tête qui a dû attaquer les jurés. Aspirine pour tout le monde.
Réf : lexpress.fr/