Bye Bye Blondie : le nanar no future de Virginie Despentes

LE PLUS. Plus de dix ans après l'ovni "Baise-moi", Virginie Despentes revient au cinéma avec l'adaptation de son roman "Bye Bye Blondie", nanar lesbien joyeux et régressif qui semble avoir perdu quelque chose en route. Par Vincent Malausa, critique aux "Cahiers du cinéma" et chroniqueur au Plus.

Que devient Virginie Despentes ? A la vision de "Bye bye Blondie", la question mérite d'être posée. La punkette des lettres françaises a mis de nombreuses années à monter ce projet d'adaptation au cinéma de son propre roman et sa carrière littéraire s'est vue, entre temps, taxée d'embourgeoisement.
 Le problème avec ce drôle de film entre teen-movie et comédie sociale involontaire est pourtant tout autre : il s'agit d'une régression complète vers le nanar après la bouffée de liberté apportée par un premier long-métrage trash et romantique, le tapageur "Baise-moi", en 2000.


Dans "Bye bye Blondie", la punk attitude n'est plus qu'un déguisement d'ado attardé consistant à trépigner sur place en hurlant des "no future" avec des habits en cuir, quelques pin's à tête de mort et des cheveux hérissés qui font peur.

On y voit, entre autres scènes défiant les limites de la censure, Béatrice Dalle mettre de la musique trop fort dans sa chambre pour énerver le mari de sa copine, jeter un verre d'eau à la face d'une méchante bourgeoise ou encore une jeune gothique hystérique dire "prout" à ses parents en tapant dans la commode du salon avec ses Doc Martens.

Il semble à peine croyable que Virginie Despentes ait pu concevoir sérieusement ces scènes à faire passer Dick Rivers ou les aventures de Mimi Cracra pour de dangereux instruments de propagande révolutionnaire.

Cette impression de puérilité vient probablement d'un pitch qui tente maladroitement de reconstituer l'adolescence punk de la cinéaste via les retrouvailles de deux lesbiennes que tout oppose : Gloria, brune associale explosive, et Frances, blonde tout en retenue devenue star de la télé. Les deux se sont aimées ados, le film tente de réactiver leur passion quelques décennies plus tard en reliant les deux époques à l'aide de flash-back affreusement mécaniques.

Punk is dead ?

S'il est un embourgeoisement, il tient surtout aux choix de production du film : le casting luxueux (la rencontre au sommet Béatrice Dalle versus Emmanuelle Béart sur laquelle repose lourdement la promo) et le recours à des techniciens de renom ouvrent Despentes à un cinéma de "qualité française" un peu pâteux qui gagne en (faux) sérieux ce qu'il perd en intensité, lyrisme et spontanéité – les principales qualités qui donnaient tout son souffle au très fauché "Baise-moi".
Le problème vient non seulement de cette "qualité" qui ne sied guère à l'ex-reine de la littérature trash, mais aussi de son incapacité à faire valoir le moindre point de vue dans ce méli-mélo en roue libre.

On se réjouit pourtant du fait que l'argument lesbien, qui est une des belles idées du scénario (alors que Frances était un homme dans le roman), soit abordé de manière si peu racoleuse. C'est tout à l'honneur du film que de traiter cette histoire d'amour comme n'importe quelle autre, mais pourquoi alors réduire cette passion à une suite de regards lubriques et d'embrassades filmées comme de fades tableaux académiques (à l'image de l'affiche faussement chic du film et son côté sous-"Mulholland Drive") ? A aucun moment Despentes ne semble capable d'insuffler la moindre dimension amoureuse à ce récit d'amour fou.

Un film de sale gosse jouant les bons élèves

Malgré l'ineptie de la partie contemporaine et la crédibilité zéro de ce pur numéro d'actrices censé retranscrire la rencontre d'une vie, "Bye Bye Blondie" séduit plus dans ses flash-back adolescents. D'abord parce qu'il est plus aisé d'entrer dans la fièvre de cette amourette entre deux gamines rebelles qui se retrouvent en HP. Ensuite parce que c'est bien là, dans le mauvais goût coloré et la bizarrerie underground du début des années 80, que bat le vrai cœur du film.
Les scènes de reconstitution des 80's ressemblent parfois à un mauvais spectacle lycéen de fin d'année, avec en sommet de ringardise une hilarante baston entre un groupe de punks et une bande de skins tout droit sortis d'une BD de Franck Margerin.

Il y a dans cette énergie kitsch et comique un goût d'enfance et un plaisir vandale à briser les limites du bon goût qui rappellent trop éphémèrement ce que Virginie Despentes a pu nous apporter au temps de sa splendeur trash. C'est dans cette furie joyeuse que se cache sa gravité, et c'est finalement cette tendance à la régression qui fit d'elle une vraie figure de rage et de liberté au début des années 2000.
Despentes ne s'est pas embourgeoisée : elle est visiblement passée à côté de son film en sous-estimant la dimension de pure comédie qui sous-tend ce nanar endiablé comme une vieille chanson des "Béruriers noirs"

Source : leplus.nouvelobs.com