Il a immortalisé les plus grands musiciens sur pellicule. Il a filmé Art Blakey, John Lennon, Sonny Rollins, James Baldwin ou la naissance du hip-hop à New York. Le réalisateur de documentaires Dick Fontaine est à l’honneur au festival Cinéma du réel qui se déroule du 22 mars au 3 avril 2012 au Centre Pompidou et dont Evene est partenaire.
Aujourd’hui, Dick Fontaine, 73 ans, parcourt les rues de Londres à vélo. « Je pensais être un New-Yorkais et je ne le suis pas », s'amuse-t-il. Il laisse à la Grande Pomme un fils, une ex-femme et beaucoup de souvenirs comme sa rencontre avec les Beatles, le jazzman Sonny Rollins ou les fondateurs du hip-hop. Pour cet enseignant à la National Film School - section documentaire, bien sûr - l’aventure avait commencé avec un kit de batteur.« Quand j’ai réalisé que je ne jouerais jamais avec Miles Davis, j’ai essayé autre chose, le cinéma. » Explications.
Comment êtes-vous passé derrière la caméra ?
Après avoir composé la bande-son de films expérimentaux pour des amis, j’ai senti une connexion entre le montage et la musique. Le montage est un processus rythmique fascinant, particulièrement dans le documentaire où l’on découvre les images qui ont été filmées. On doit alors trouver le bon rythme dans une séquence et l’appliquer au reste du film. C’est toujours surprenant. Par exemple, pour I heard through the grapevine, j’ai suivi l’écrivain James Baldwin dans un club de Jazz. À un moment, il s’est écrié : « Si seulement je pouvais écrire comme lui joue ! », à propos d’un guitariste que j’avais filmé. Harmoniser les mots de Baldwin avec le morceau est alors devenu évident et ça a donné une scène formidable.
Pourquoi avez-vous réalisé autant de documentaires sur la musique, et sur le jazz, en particulier ?
Même si elle n’a pas changé le monde, la musique a eu une grosse influence sur la société. J’ai grandi dans l’ombre de la Seconde Guerre mondiale, le fascisme était partout et le sentiment de liberté qui émanait du jazz en disait long sur le monde. Pour moi, ça a été une libération d’un point de vue social.
Un de vos premiers films, Yeah! Yeah! Yeah! (1964) était pourtant sur les Beatles...
À l’époque, je travaillais pour Granada – une chaine de télé très populaire à l’époque. À Liverpool, un ami m’avait invité au Cavern Club car on y jouait du jazz. Ayant appris qu’un type de Granada venait, John Lennon et Paul McCartney sont alors venus à ma rencontre. On a bu un verre et ils m’ont invité à venir les voir jouer. Je n’étais pas fan de rock’n roll mais en voyant le lieu rempli de jeunes, je pensais tenir un sujet passionnant pour mon premier long-métrage ! N’étant qu’un petit jeune, on ne m’a pas autorisé à sortir ma caméra et on m’a plutôt proposé de les filmer en studio. Je me souviens avoir répondu qu’ils n’étaient pas bons mais juste intéressants ! À mon grand regret, c’est un ami qui s’en est occupé et il est devenu le seul à avoir filmé les Beatles au Cavern Club !
Et Yeah! Yeah! Yeah ! donc ?
Mon ami Robert Freeman est devenu le photographe officiel des Beatles. Quelques mois plus tard, il m’a proposé de filmer leur première arrivée à New York. À l’époque, j’étais impressionné par le cinéma vérité » de Pennebaker et Richard Leacock. Pour moi, c’était le language cinématographique des 60’s, capable d’insuffler le rythme jazzy qui me tenait à coeur, à rebours des documentaires conventionnels. J’ai appelé Leacock pour lui proposer de filmer les Beatles avec moi mais il était occupé – il m’avoua plus tard avoir menti parce qu’il trouvait l’idée débile. Il m’a alors orienté vers Albert et David Maysles et on n’a pas dormi pendant quatre jours. C’était dément. Quelques mois après l’assassinat de Kennedy, l’hystérie des Beatles était une sorte de libération qui s’est étendue au reste de l’Amérique comme un feu de paille. La dernière fois que j’ai vu John, un an avant son assassinat, il était avec cette jeune femme à qui il m’a présenté en disant avec un petit sourire : « C’est l’homme responsable du début de la fin. » Quelle phrase géniale…
Les Beatles ou la naissance du hip-hop, vous avez toujours été au bon endroit, au bon moment.
J’ai été chanceux ! Au début du hip hop, je vivais à Harlem, pas très loin des fondateurs de ce mouvement. Le crew Rocksteady vivait dans les HLM à côté de chez moi ! Pour moi, le hip-hop dégageait une énergie intéressante à découvrir. Il y avait aussi une connexion évidente avec le jazz puisque le rap trouve son origine avec le groupe d’écrivains afro-américains The Last Poets, avec qui j’étais ami.
Plus de 40 ans après Who is Sonny Rollins?, vous venez de terminer Sonny Rollins Beyond the notes. Pourquoi revenir vers lui ?
J’ai rencontré Sonny par l’intermédiaire du saxophoniste Ornette Coleman, avec qui j’ai réalisé Who’s Crazy ? (1966), mon premier documentaire sur le jazz. Il était brillant, il avait beaucoup de succès et il avait décidé d’arrêter d’apparaître en public du jour au lendemain. Il l’a d’ailleurs fait plusieurs fois, à chaque fois qu’il n’aimait pas les circonstances dans lesquelle sa musique était jouée, à chaque fois qu’il était effrayé par l’importance de la drogue et de l’alcool et l’exploitation abusive des managers. Dans le documentaire, on doit trouver un équilibre entre le sujet et sa propre mise en scène. On trouve en soi et en l’autre le désir de filmer. En ce qui concerne Who is Sonny Rollins ?, j’avais grandi en me disant qu’il fallait faire ce que ma culture me disait de faire et son geste m’avait estomaqué. Il a eu une énorme influence sur moi. Pour ses 80 ans, alors qu’il n’avait plus joué en public depuis longtemps, Sonny Rollins a donné un concert avec Ornette Coleman. Il me paraissait alors normal de filmer ces retrouvailles.
Vous n’avez pas tourné pendant de nombreuses années. Est-ce parce que la musique actuelle ne vous inspire pas ?
Je me suis trouvé happé par mon travail d’enseignant ! Mais il y a toujours de nouveaux musiciens qui émergent, il y a toujours des discours sociaux même s’ils sont noyés dans les impératifs d’une industrie. Les mouvements ont également éclaté aux quatre coins du globe depuis que la culture américaine a essaimé partout dans le monde.
Et qu’en est-il du documentaire d’aujourd’hui ?
C’est une question plus délicate. Actuellement, la démocratisation des images n’a pas encore mué en un mouvement percutant. Tout le monde peut filmer et les talents émergent alors en petites poches disséminées. Parfois ce sont des professionnels, parfois non. De jeunes documentaristes vont sûrement émerger et avoir un impact sur les gens. J’espère juste avoir eu une influence sur eux !
Source : evene.fr