D'un côté, une fervente déclaration au septième art ; de l'autre une pâle adaptation d'un chef-d'oeuvre de la littérature. À Cannes, tous les coups sont permis.
Leos Carax a beau déclarer, du bout des lèvres, ne pas apprécier les noms propres, Holy Motors (« sacrés moteurs »), son dernier film, incite irrésistiblement à les épeler. Ainsi, les spectres de Jean Grémillon et de Georges Franju, de Jacques Demy et de King Vidor y errent au hasard des séquences et des situations confiées à l'éblouissant Denis Lavant, l'acteur fétiche, seul capable désormais de rivaliser avec Jean-Louis Trintignant sur la terre sacrée du prix d'interprétation.
Depuis Mauvais sang, on n'avait pas vu un Carax aussi fertile en feux d'artifice et en morceaux de bravoure. Il n'échappera à personne - même à ses plus ardents détracteurs - qu'Holy Motors est une de ces déclarations d'amour au cinéma comme seuls les grands fervents (Minelli, Godard, Mankiewicz), les grands malades, peuvent en produire. Sauf que - époque numérique oblige, caméras microscopiques amputées de moteurs - Carax est plutôt d'humeur mélancolique lorsqu'il s'agit de se promener dans les allées pavées du septième art. Un vrai cimetière, selon le cinéaste. Ce dernier est apparu hier, toujours aussi nerveux, un peu moins autiste tout de même que par le passé, sous antidépresseurs sans doute mais tout de même moins chargé que Lars von Trier l'an dernier. Fidèle à sa réputation d'empêcheur de tourner en rond, calquée sur celle de maître Jean-Luc, il s'est empressé d'avouer que son cinéma était d'ordre privé et qu'il se satisferait de n'être aimé que par une seule personne, entendons par là un seul spectateur.
Qu'importe le personnage, seules les oeuvres revêtent de l'importance, elles seules sont immortelles ! Et celle-ci, appelée à être très décriée, rend hommage - à travers les douze personnages qu'interprète l'acteur principal - au mélodrame, au polar, au western, à la comédie musicale, au réalisme poétique etc., autant de genres, sensuels et sacrilèges, traversés par ce film singulier que l'on gratifierait volontiers d'un grand prix du jury.
« La beauté est dans l'oeil de celui qui regarde » : ouvrons donc en grand les yeux sur ce précis de solitude - à la fois drôle, choquant, déconcertant et émouvant - sur lequel se greffent des personnalités aussi flamboyantes et atypiques que Kylie Minogue, Édith Scob, Eva Mendes et Michel Piccoli.
Après le cinéma, la littérature et l'adaptation d'un chef-d'oeuvre, Sur la route, jugé inadaptable : Sauf par le réalisateur Walter Salles et son scénariste Roman Coppola. Impossible pari que l'on mesure à l'ampleur du naufrage que constitue ce catalogue de cartes postales. Chaste et sage comme une belle image.
Difficile de retrouver Jack Kerouac et Neal Cassady en des acteurs que l'on croirait sortis d'American Pie et de Social Network. Garreth Hedlund notamment qui ressemble plus à Thomas Dutronc qu'à Dean Moriarty. De ce film sentimental et moralisateur - un comble -, notons qu'il est dépourvu de fièvre et d'âme. Blindé de chromes et de chromos mais dépourvus d'anges vagabonds et de clochards célestes. Sur la route oui, mais sur les sentiers battus !
Réf: PHILIPPE LAGOUCHE- la voix du nord